lundi 9 mars 2015

Interview de Ji Ro 
6 février 2013 sur Canal Sud, Toulouse 

https://soundcloud.com/ji-ro-6/2013-02-06-jiro-sur-canal-sud

mercredi 13 août 2014

Comme un chien, de Ji Ro. Deuxième édition revue et allongée.

La deuxième édition de "Comme un chien" de Ji Ro est disponible.
"C'est l'histoire d'un mec au
cheveux roses", de son viol, la
descente aux enfers et le procès.
"J'ai mis quinze ans pour pouvoir
l'écrire, raconte Ji Ro. Comme un
chien est mon témoignage, le
processus mental d'un anar qui
doit porter plainte." La lecture fait
froid dans le dos, entre récit et
analyse ; des mots sans
concession au rythme qui
bouscule, "pour dire que le danger
est toujours là". Résistance et
éloge de la différence."
Catherine Boulay, le Berry
Républicain

Comme un chien a été sélectionné pour le PRIX DU ROMAN GAY 2013, organisé par LES ÉDITIONS DU FRIGO. Mention spéciale "roman court".




1997.
Lyon.
Quartier de la Croix‐Rousse.
Jeudi.
Marcher vite. 16h50.
Courir. Se précipiter. Stresser.
Arrêt de bus. Numéro trois.
Attendre le bus en tapant des orteils dans les
baskets. 16h51. 16h53. Se mordre les dents
d'impatience. 16h54.
Le bus arrive. Monter dans le bus sans
raquer. Le bus démarre. Embouteillage. Le
feu est rouge. 16h57.
Se mordre la lèvre et s'écorcher le sang. Se
frotter le nez. Regarder dehors. Se ronger les
ongles et les petites peaux autour. Regarder
les passagers. Embouteillage. Regarder son
poignet gauche alors qu'il n'y a pas de
montre. Regarder dehors.
Putain merde !
17 heures pile. Arrêt de bus.
Je saute du bus et me précipite vers
l'esplanade de la gare de la Part‐Dieu. Mes
deux sacs de voyage sur le dos. Je cours.
Même pas le temps de me dire que ce
quartier est vraiment moche et glauque.
Entrée du hall de la gare. La gare est un
immense hall. Tableau des départs des trains.
Bourges. Direction Nantes. Nantes. C'est écrit
où. Départ dans deux minutes. Quai G. Je
cherche. Quai G. Quai G. Je monte
l'escalator. Je suis sur le quai. Le train est
encore là. Contrôleur. Pas de contrôleur. Je
grimpe dans un wagon. Je souffle. Relax. Je
file le long d'une allée de fauteuils. Je
m'assois.
Je n'aurais jamais dû courir pour prendre le
train. Je n'aurais jamais dû courir pour
prendre ce train. Je n'aurais jamais dû courir
pour me jeter dans la gueule de ce train.
Quoique.
On ne dit jamais jamais.


Je m'assois au fond du wagon des
voyageurs. Au fond à gauche. Près de la
porte à double battant. Près des étagères à
bagages. Pour être invisible. Comme
n'importe quel cancre de la SNCF.
Parce que j'aimerais être invisible. Me fondre
dans le décor du compartiment. Être fauteuil
à la place du fauteuil. Parce que c'est comme
ça, je crois que j'ai toujours espéré être
invisible. Ou le contraire. C'est tellement
désespérant.
Je me suis blotti sur le siège de la dernière
rangée, au fond à gauche, parce que cette
place en coin en vaut bien d'autres. Elle me
protège du dehors. De là, j'observe les
hostilités du monde. Je guette l'ennemi.
En coin d'oeil.
Par goût. Par choix ou non‐choix.
Je me suis assis à cette place pour qu'on me
foute la paix.
Les portes à double battant s'ouvrent
brusquement, et se referment tranquillement
en laissant passer le froid de l'extérieur. Les
poignées claquent telles des clapets, et
ouvrent régulièrement ces portes d'un bruit
sec et mécanique, lorsque quelqu'un sort du
wagon pour aller aux chiottes, fumer une
clope, pour téléphoner, marcher ou changer
de compartiment. Je sursaute à chaque
ouverture. Mon coeur se serre, hoquette et
défaille. Ça me stresse à l'intérieur des nerfs.
Je n'ai pas envie de voir la tronche du
contrôleur débarquer.
Assis auprès de la fenêtre, mon reflet regarde
les paysages de cette fin de journée de fin
d'octobre. Les jours sont courts, trop courts, à
ce moment‐là de l'année. C'est l'automne.
Avec l'humidité de l'air qui annonce la pluie.
Le froid qui annonce le froid. Et l'ombre des
arbres. L'ombre des branches. Comme des
bras maigres et osseux qui s'effeuillent et se
recroquevillent.
Je monte à Bourges pour la deuxième édition
du festival Emo‐son.
Le trajet est long. Lyon, Roanne, St‐Germain‐
des‐Fossés, Moulins‐sur‐Allier, Saincaize, et
Bourges. Des heures de trajet.
La nuit est tombée.
Noire.


Le train traverse les campagnes, les collines,
les bourgs et les petites villes. Le wagon
secoue de temps en temps. Le roulement des
roues sur les rails ronronne une berceuse
métallique.
Monotonie.
Une jeune femme enceinte et son amie sont
assises non loin de moi. L'une parle tandis
que l'autre l'écoute.
‐ Mon beau‐frère, il est conducteur de RER à
Paris. Ils ont des formations pour les suicidés.
Ils leurs disent de ne pas les regarder dans
les yeux. De détourner le regard si un gars
sur le quai les fixe dans les yeux. Quand un
gars te regarde dans les yeux, c'est qu'il veut
se suicider. C'est déjà arrivé deux fois à
Steeve. La première fois, le gars l'a regardé
dans les yeux, mon beau‐frère a détourné la
tête, et il a senti le corps sous les roues. Il a
eu un mois d'arrêt maladie. Il a eu du mal à
s'en remettre. Il était traumatisé. La deuxième
fois, il a vu une gamine qui traversait la voie
avec son vélo. Il a klaxonné klaxonné mais la
gamine est restée immobile, pétrifiée. Il a
freiné mais c'était trop tard. Quand le train
s'est arrêté, il a été voir. Le vélo était
déchiqueté mais la gamine avait juste des
fractures aux jambes. Elle était pas morte.
C'est pas croyable hein pas croyable.
‐ Bah oui, acquiesce sa copine, surtout qu'elle
était innocente.
Il arrive parfois que les mots fassent des 
empreintes dans le silence.


Le contrôleur passe.
‐ Contrôle des billets s'il vous plaît.
‐ Je n'ai pas de billet.
Je n'ai jamais de billet. Trop cher. Puis, dans
ma culture punk à moi on grille le train. Par
principe. On grille le train, on boit de la bière,
du gin, de la vodka ; et du parfum
occasionnellement. Des trips à l'heure du
goûter et du speed au petit déjeuner. Pour se
déchirer la cervelle et danser sur les
strangulations de l'âme. On se bourre la
gueule, on bosse pas, on squatte, on
resquille.
Like a hobo.
J'écoute de l'anarko‐punk, du hard‐core, je
suis anti et j'emmerde le monde. Philosophie
du fuck off et combines de branleur. La vie
est un terrain de jeu désinvolte. Une
insolence aux règles du jeu. Vivre libre ou
mourir. À bas l'humanité.
‐ Billet s'il vous plaît.
‐ Je n'ai pas de billet.
‐ Comment ça ?
‐ J'ai pas assez de monnaie.
‐ Pas de billet, pas de train. Vous sortirez à la
prochaine gare.
Non. Je fais des pieds et des mains. J'ai le
gosier qui ravale sa salive. Ça craint. Je ne
lâche pas l'affaire. Je minaude. J'essaie de
négocier. Parfois ça marche. Rien à négocier.
Celui‐là est vraiment un fils de.
Il me jette du train à Saint‐Germain‐des‐
Fossés. Le bled.
Quelle merde. Je fais pas le fier. Il doit être
environ 19h30. Sept heures et demi du soir à
Saint‐Germain‐des‐Fossés.
Je passe à la buvette boire un demi. Le
prochain train est dans cinq heures. Il va à
Vierzon. Et ne s'arrête pas à Bourges.
Galère.
Il ne me reste presque plus de thune.
Qu'est‐ce que je fous là. Angoisse.
Pas content.
La nuit noire. 


Je demande la direction de la poste à la
patronne de la buvette. Je vais aller retirer un
peu de caillasse à l'automate pour boire
quelques bières en attendant le prochain
train.
‐ Vous prenez la rue à droite en sortant de la
gare.
‐ Ok. Merci.
Non loin de là, sur le chemin, je croise une
bande de gars. Trois sont dans une bagnole.
Trois autres boivent de l'alcool à 90°c
mélangé à du jus de fruits. La bouteille
d'oasis en plastique est posée sur un mur. Ils
parlent entre eux.
Je marche mains dans les poches. L'un d'eux
attrape mon bonnet à mon passage. J'ai les
cheveux roses. J'essaie de le rattraper. J'ai
des bagues aux doigts, les ongles longs,
correctement limés et vernis en rose fluo.
‐ Pédé !
Je ne suis pas sûr de bien avoir compris.
Ou je m'imagine que je n'ai pas compris.
Ou je fais celui qui a compris autre chose.
Je ricane comme un bouffon.
Les trois mecs dans la bagnole se cassent.
Je reste seul avec les trois buveurs. Celui qui
m'a pécho le bonnet porte un blouson noir. Il
garde le bonnet à la main et ne veut pas me
le rendre. Il m'attrape par le bras. Me ceint.
Me le serre fort. Ne me lâche pas.
Il est grand.
Ils sont grands. Costauds.
‐ Pédé ! Ils ne parlent pas français. Je ne
comprends pas. Ils me disent de boire. Je
refuse. Ils me forcent. Je rentre mes lèvres
dans ma bouche. Je ne ricane plus.
Je cherche à me barrer. À extirper mon bras
de sa poigne. Mes sacs de voyage glissent
de mes épaules. Je ne voudrais pas les
perdre. Il me serre le bras. Fort. Je m'agrippe
aux sacs. Il m'entraîne petit à petit vers
l'escalier qui mène au parc. Il me tire. Les
autres me poussent. J'essaie de résister.
J'essaie de parler. De me faire comprendre.
De m'expliquer. De freiner mes pas. Leurs
pas. Nos pas. Ils sont plus forts que moi.
Je n'arrive pas à crier.
Le parc est mal éclairé. Humide et froid. 


J'essaie de leur dire que je ne suis pas pédé.
Qu'ils se trompent.
Mais il est un fait : tout le monde sait qu'un
mec hétéro, qu'un bon gars, qu'un vrai mec,
n'a pas les cheveux roses, une paire de
lunettes fantaisie sur le nez, des bagues aux
doigts... Et du vernis rose fluo sur des ongles
longs, soigneusement limés, qui feraient
crever de jalousie tous les faux ongles de la
panoplie Barbie. Les hommes ne sont pas
des pédés. Et le vice est versa. Les pédés ne
sont pas des mecs. C'est grâce à cela, à la
pertinence de ces détails, qu'on nous
reconnait d'ailleurs.
Et ce savoir est collectif. Ils le savent aussi.
Et ne me croient pas.
Je ne suis pas convaincant.
Non crédible.
‐ Pédé, disent‐ils.
Je ne sais pas ce qu'ils veulent.
Ou je feins de ne pas le savoir.
C'est la seule stratégie que j'ai trouvée. C'est
franchement nase. Tout est tellement brusque
et incontrôlé. J'ai tellement peur. Mon coeur
frappe contre les barreaux de sa cage
thoracique. Je voudrais éviter le pire sans me
dire une seconde que je suis déjà dedans.
Je ne sais pas ce qu'il va se passer.
Je crois savoir ce qu'ils veulent qui se passe.
Je crains ce qu'il va se passer.
Dans le parc, je suis encerclé par la bande.
Le gars au blouson noir semble vouloir
apaiser la situation. Les deux autres me
frappent. Chacun leur tour. Coups de pied,
coups de poing, béquilles, balayettes, je me
relève. Coups de poings. Je me relève. Je
perds mes lunettes. Je tâte le sol pour les
retrouver. Je les ramasse. Elles sont
esquintées. Les branches sont écartées. Tor‐
dues. Elles tiennent mal sur le nez. Coups de
pied dans la gueule. Éclair. Je sens mon oeil
et ma bouche gonfler.
J'essaie de garder mon sang froid là où tout
est turbulent. De maîtriser ce qui ne se
maîtrise pas. De parler. Encore et encore.
Mais les deux autres me frappent. Encore et
encore. Chacun leur tour. Béquilles. 
Balayettes. Je tombe. Je me relève. 
Automatiquement. Pour résister. Ne pas céder. 
Ne pas leur laisser croire que je suis foutu. 
Ne pas leur laisser croire que je suis une fiotte.
Ne pas être une proie facile.
Ils sont énervés.
Aldo. Loubri.
Je ne sais pas ce que je vais devenir. Je ne
sais pas si je vais sortir de là vivant. Pour le
moment, il n'y a pas d'issue. Aucune issue.
Ce sont les maîtres. Je suis le chien.
Le blouson noir, celui qui m'a agrippé le bras,
essaie de temps à autre de calmer ses
copains. Il m'amène vers le fond du jardin.
Bouche. Il me dit « bouche ». Je crois qu'il
me demande de le sucer. J'hésite. Si je le
suce c'est que je suis pédé, alors que j'essaie
de lui démontrer vainement le contraire
depuis tout à l'heure. Je ne suis pas pédé. Si
je le suce, je vais devoir m'agenouiller et me
trouver dans une position dangereuse. Lui
debout et moi à genoux. À sa merci. À leur
merci. Ou, peut‐être, me laisseront‐ils
tranquille une fois qu'ils auront obtenu ce
qu'ils souhaitent. Je ne sais pas. Il sort sa
bite. Je le suce. De façon neutre, autant que
possible. C'est ma façon de résister. Je le
laisse bouger sa queue dans ma bouche
sèche, mes lèvres gonflées par les coups. Je
ne fais rien avec ma langue, comme une
grève générale. Ça ne lui convient pas. Il
m'amène ailleurs, sur un muret, et demande
de m'asseoir. Je m'assieds. Il appelle un de
ses potes, le plus grand, qui à son tour sort
sa bite de son futal de sport. Il bande. Belle
queue. Je le suce tout en branlant le premier.
Un bref instant, je me dis que ce pourrait être
excitant. J'ai peur. J'ai le fond du caleçon qui
mouille. Je bave de la bite. J'ai ma cervelle
qui me dit que je serais peut‐être agonisant
ou mort dans dix minutes. Qu'il faudrait que je
pense à sauver ma peau et mes os. Tant de
choses circulent et s'entrechoquent dans ma
tête. Je sais que ces types peuvent me tuer.
Le premier éjac dans ma bouche et finit de se
branler sur moi. Je suce le gars au blouson
noir qui finit par se lâcher dans ma bouche.
Je crache. Le troisième surveille l'entrée du
parc. Il les avertit d'un truc que je ne
comprends pas.
Si. Je crois qu'il dit « gendarme ». Peut‐être
que les gendarmes passent en bagnole dans
la rue. Qu'il faut faire moins de bruit. Je ne
sais pas. Je pourrais hurler. Je ne hurle pas.
J'ai trop peur qu'ils me tuent si je crie. Peur
de crier pour rien. Que les flics ne
m'entendent pas. Puis, peut‐être qu'il leur a
dit autre chose. Peut‐être qu'il n'y a pas de
gendarme.
Loubri. Aldo.
Ils me frappent à nouveau. Me frappent
encore. Le blouson noir qui jusque‐là calmait
l'enthousiasme de ses potes, se déchaîne. Je
voudrais partir. Que ça finisse. Mais c'est pas
moi qui décide.
Pause.
Ils me fouillent, ouvrent mes sacs de voyage
et trouvent mon couteau opinel. L'un d'eux
ouvre la lame et menace de me couper les
couilles. Ça ne s'arrête pas. Ça ne s'arrête
plus. S'ils me coupent les couilles, s'ils me
filent un coup de lame, ils devront me tuer. Ils
ne pourront pas me laisser vivant. Trempé
dans mon sang. Témoin. Je crois que je vais
mourir. C'est une question de secondes qui
s'écoulent. Vite et lentement en même temps.
Je vais crever là. Je ne veux pas crever. Je
me sens incapable de m'enfuir. Je pourrais
m'échapper. Je crie.
Enfin.
Je crie.
Ils rangent mes affaires éparpillées dans mes
sacs éparpillés. Tranquillement. Je peux
partir. Je crois que je peux partir. Je leur
demande. « Je peux partir ? ». Ils me disent
de partir vite. Je prends mes sacs. Je marche
rapidement sur l'herbe glissante. Ils me
rattrapent. Balayette. Je glisse. Je tombe. Ils
me savatent. Coups de pied. Je perds mes
lunettes. Ils les ramassent et partent avec.
Enfin, je suppose.
Je ne sais pas. Je ne vois pas.
Ils s'éloignent. Paisiblement. Comme si de
rien n'était.
Je reste seul. Je reste là. Infiniment seul.
Avec le parc.
J'entends encore leurs voix qui s'éloignent.
Je cherche mes lunettes, baissé dans l'herbe
mouillée. Je ne les trouve pas. Je ne les
trouve plus.
Qu'est‐ce que je fais maintenant. Ils m'ont dit
de partir vite. J'ai très peur. Ils peuvent
revenir.
Je me casse. Vite. C'est où. Par où je passe.
Le jardin est mal éclairé. La lumière des
quelques lampadaires est floue sans mes
quatre yeux. Je cherche une sortie. Je vois le
panneau « gendarmerie ». Je n'ai pas
confiance je n'y vais pas. J'ai une gueule de
coupable. J'ai pas envie qu'ils me prennent la
tête.
Il y a un vieux qui promène son chien
rabougri sur le trottoir. S'il vous plaît
monsieur, vous pouvez pas venir m'aider ? Je
viens de me faire tabasser dans le parc, j'ai
perdu mes lunettes, je vois rien, vous pouvez
pas venir m'aider à les chercher ?
Je le supplie avec ma tronche défoncée et
mes genoux à genoux dans ma tête.
Il me dit : « vous avez qu'à aller à la
gendarmerie, là ! » m'indiquant la direction
d'un petit coup de menton, les épaules
baissées.
Il ne parle pas fort. Il ne peut pas
comprendre. Il doit flipper lui aussi. Il est seul
avec son chien et il veut juste qu'on lui foute
la paix.
Je ne veux pas aller à la gendarmerie.
Je me sens abattu. Perdu. Merdeux.
Absent.
Mais qu'est‐ce que je fous là ? Ici.
Histoire glauque. J'ai du mal à percevoir le
réel. J'ai la cervelle en copeaux de vents. Je
ne suis pas apte à départager le vrai du faux
dans ce cauchemar. Ahuri. C'est comme dans
un film. Je ne maîtrise rien. Je ne crois pas.
Je ne crois pas à ce qui vient de se passer.
Je ne vois que ce que je crois. J'implose.
Dans ma tête, c'est la guerre. Mes pensées
sont furtives et s'éliminent comme des mines
antipersonnelles. Rien ne tient, tout est fébrile, 
tout m'échappe. J'ai l'impression de
divaguer. Il faut que je me planque. Que je
me réfugie. J'aurais besoin de réconfort.
Pas à la gendarmerie.
Je redescends la rue, puis tourne à droite. Je
crois que c'est par là. Le parking. La gare.
J'entre dans le hall.
Je fais quoi. Là. Comme une merde. Comme
un zonard. La gueule démolie. Mes coquards
et ma myopie.
Même pas mort.
Dans la salle d'attente, une fille seule, assise,
attend avec sa valise. Le silence fait écho.
J'appelle un copain de la cabine téléphonique.